Caractéristiques
- réalisateur : Vivian Qu
- année de production : 2013
- date de sortie : 13 août 2014
- durée : 93 minutes
- pays : Chine
- festivals : Les festivals : Festival de Venise 2013 Semaine de la Critique – Festival de Toronto 2013 – Festival de Rotterdam 2014.
Synopsis
A Nanjing, Li Qiuming est apprenti au sein d’une société de cartographie numérique. Son travail consiste à inspecter les rues de la ville en perpétuel changement et de mettre à jour le système.
Pour arrondir ses fin de mois, il installe des caméras vidéo dans les lieux publics, mais cache ce détail à son père, rédacteur en chef d’un magazine gouvernemental bien vu par le parti. Un jour, alors qu’il arpente les rues, il rencontre une superbe jeune femme qui disparaît dans une rue isolée. Il découvre alors que les données collectées concernant cet endroit n’ont jamais été enregistrées dans le système de cartographie et que la rue a disparu comme si elle n’avait jamais existé.
Désespéré de ne pouvoir retrouver la mystérieuse femme, il continue ses recherches sur cette rue. Il y découvrira quelque chose qui changera le cours de sa vie à jamais.
Revue de presse
Critikat
Candide, ou l’optimiste, par Vincent Avenel
Vivian Qu est un nom qu’on a déjà vu passer à l’écran cette année : elle est l’heureuse productrice de Black Coal qui, fort d’une distinction à Berlin et d’une campagne de promo savamment menée, a sans nul doute constitué le plus grand succès commercial du cinéma indépendant chinois en France depuis longtemps. Comme Diao Yinan, réalisateur dudit Black Coal, Vivian Qu choisit avec Trap Street, son premier long-métrage, de fouiller les méandres d’une Chine où les villes cachent des secrets, où le réel se pare de voiles et de masques, et où on est mal inspiré de vouloir fouiller trop profondément.
Au pays des masques
En toute logique, la profession du personnage principal du film s’accommode mal de trouble et de fausses perspectives : Li Qiuming est un jeune géomètre, attaché à la vérification des données cartographiques de la ville de Nanjing. Tombé sous le charme d’une mystérieuse jeune femme croisée par hasard, il s’aperçoit que la rue dans laquelle elle lui a échappé n’existe sur aucune carte – nul doute qu’il y a là un secret qu’il vaudrait mieux laisser reposer, mais l’amour n’entend guère les appels à la prudence.
Vivian Qu se focalise sur Lu Yulai, qui a pour lui sa jeunesse, et un idéalisme qui se manifeste via son obsession romantique, mais également une probité certaine. Comme de juste, il en attend autant de ses interlocuteurs et de la société en général. Légataire de la Chine post-Internet, son personnage semble tout prendre au pied de la lettre, ne jamais percevoir les ombres que portent tous ses interlocuteurs : pourtant, il a déjà le pied dans la culture du mensonge et du non-dit, lui qui cache à son père que sa mère lui donne de l’argent en cachette.
Le visage de l’acteur est dans un premier temps filmé franc, ouvert, incapable de duplicité, tandis que les autres acteurs parlent le langage corporel de l’évitement, du louvoiement. Sourires torves, épaules haussées dans une connivence souterraine, regards qui se détournent : comme la fameuse rue fantôme, chacun recèle des profondeurs insoupçonnées, des secrets bien gardés – autant de préludes à une descente aux enfers que le jeune homme ne semble pas vouloir percevoir, et que la caméra de la réalisatrice capte avec une application insistante, tirant le film sur le terrain du documentaire.
Le trou noir
Le propos de Vivian Qu, qu’on retrouve également dans Black Coal, semble être de souligner la duplicité intrinsèque de la société chinoise moderne, prétendument libre, prétendument ouverte, mais toujours à la fois sous la coupe d’un contrôle ferme par les autorités, et surtout sous celle d’une société ultra-hiérarchisée, dont le fonctionnement ancestral nie toute velléité de liberté individuelle. Le propos frappe par son traitement très frontal.
On ne se fait guère d’illusions sur le devenir de ce minuscule Don Quichotte pétri d’optimisme, que les moulins auront beau jeu de jeter face contre terre, et que le film va broyer avec une douce fermeté, illusion après illusion. Pas de climax, pas de flamboiement héroïque ni de sacrifice idéaliste : si on perçoit la machine à détruire bien avant celui qui en est la cible, pas plus que lui on ne peut réagir.
Le plan final du film se fend même d’un insistant regard caméra passant par un miroir, autant destiné à percevoir ce qui se trouve par-delà celui-ci, qu’à interroger directement l’auditoire. « Pensez-vous être plus libres ? », semble-t-on nous dire. Une question qu’il est, sans nul doute, pertinent de poser mais qui réclame, aujourd’hui, un traitement plus profond. Le cinéma indépendant chinois s’y attèle déjà avec plus ou moins de force, d’efficacité : si Black Coal emprunte le chemin labyrinthique du lyrisme, des circonvolutions du polar, Trap Street se distingue finalement par son approche frontale, dépouillée. De ce fait, si le premier semble se perdre, l’autre finit par sembler un rien naïf et volontariste.
Film de Culte
Li Qiuming est chargé de relever les rues de la ville en constante évolution et maintenir le système de cartographie à jour. Un jour qu’il arpente les rues, il rencontre brièvement une jeune femme qui a vite fait de disparaître dans une ruelle isolée. Li Qiuming se rend vite compte que cette ruelle n’est pas sur la carte et qu’il ne peut l’y faire apparaître.
LA RUE ROUGE
Vivian Qu signe avec Trap Street sa première réalisation mais elle n’est pas une nouvelle venue dans le paysage du cinéma contemporain chinois. Qu est même, depuis quelque temps, une figure clef du cinéma indépendant. Productrice de Yinan Diao, elle vient de remporter l’Ours d’or à la Berlinale pour le film noir Black Coal (en salles le 11 juin) et avait avant cela produit Longing for the Rain, fascinant film hybride de Lina Yang remarqué en festivals mais malheureusement pas en France. Il n’y a qu’un pas entre le cinéma fort et singulier que Qu soutient et le premier long qu’elle réalise. Trap Street est aussi mystérieux que son titre: une “rue-piège”. S’agit-il d’une rue qui existe sur une carte mais qui est invisible en réalité, ou au contraire d’une mystérieuse rue non-répertoriée sur laquelle on tombe comme un chemin secret ? La question se pose naturellement puisque le jeune héros de Trap Street travaille pour une société de cartographie et inspecte les rues pour mettre à jour le système. Trap Street se déroule dans une société hyper-technologique et rien ne semble y échapper: “on va filmer mes fesses” s’inquiète un homme lorsqu’une caméra est installée près des bains publics.
“Est-ce que 90% de liberté, c’est la liberté malgré tout ?”, s’interroge la réalisatrice dans une interview. C’est la question laissée en suspens par Trap Street qui comme Black Coal utilise des figures de film noir (de façon plus discrète ici) pour projeter le récit ailleurs. Contrairement au vénéneux long métrage de Yinan Diao, Trap Street n’a pourtant pas du tout la tête d’un film noir, n’en partage pas le style visuel, derrière ce vert faussement apaisé qui envahit sans cesse le cadre. “Le cinéma, c’est regarder, puis voir”, commente Qu. C’est le principe adopté par Trap Street, à la structure d’abord déroutante… mais à force de regarder, vous verrez quelque chose. Lorsque le héros est en pleine introspection, cela se déroule dans le tumulte des auto-tamponneuses (et pas, par exemple, sous une douche – avez-vous remarqué ce cliché tarte à la crème de personnages en pleine introspection sous leurs douches ?). Ce n’est pas la seule façon qu’a Vivian Qu de déjouer les clichés et autres automatismes.
Nicolas Bardot
Avoir à lire
Grand jeu de chausse-trappes, ce long-métrage chinois se plaît à perdre le spectateur pour mieux susciter son questionnement quant à la fine frontière qui sépare réalité et fiction dans un monde pourtant scruté à la loupe par des caméras de surveillance. Délicieusement paranoïaque.
L’argument : Li Qiuming est chargé de relever les rues de la ville en constante évolution et maintenir le système de cartographie à jour. Un jour qu’il arpente les rues, il rencontre brièvement une jeune femme qui a vite fait de disparaître dans une ruelle isolée. Li Qiuming se rend vite compte que cette ruelle n’est pas sur la carte et qu’il ne peut l’y faire apparaître.
Notre avis : Productrice de plusieurs oeuvres du cinéaste Diao Yinan dont Black Coal qui vient tout juste de sortir dans les salles de l’hexagone par un heureux hasard du calendrier, Vivian Qu est passée à la réalisation un an plus tôt avec
cet étrange objet filmique qu’est Trap Street. L’artiste confirme ici son goût pour un cinéma d’auteur exigeant et pour une forme de critique sociale. Toutefois, elle ne lui donne absolument pas les mêmes caractéristiques que dans les films de
Diao Yinan, bien plus réalistes. Avec Trap Street, le réalisatrice préfère travailler le réel pour en faire ressortir la part d’étrangeté symbolisée ici par une rue qui semble se soustraire à toute forme de cartographie. Le jeune géomètre qui cherche à la fois à retrouver une femme qui lui a tapé dans l’oeil et à comprendre ce phénomène étrange va ainsi se retrouver plongé dans une sombre histoire à la lisière du fantastique.
Alors que la première demi-heure semble chausser les pas du drame romantique – un jeune homme tombe amoureux d’une femme plus mûre qu’il tente de séduire par tous les moyens – la réalisatrice opère plusieurs glissements du réel vers une forme audacieuse et déstabilisante de fantastique. Ainsi, la rue du titre semble échapper à toute emprise et tout ce qui s’y passe reste irrémédiablement dans le domaine du flou et de l’oubli. Bien que les personnages soient épiés en permanence par des caméras de surveillance, rien de ce qui se passe dans cette rue n’imprime la réalité. Dès lors, la réalisatrice plonge le spectateur dans un délire paranoïaque qui semble faire du pied aux grandes oeuvres américaines post-Watergate des années 70. Il faut que le spectateur accepte alors de ne pas tout comprendre et même de se perdre dans un dédale de possibles, tout comme les personnages eux-mêmes. Cette atmosphère constante de suspicion déclenche chez le spectateur bon nombre d’interrogations sur les libertés mises à mal en Chine, mais également dans tous les pays qui pratiquent la vidéo-surveillance. Dans Trap Street, il faut accepter que des personnages disparaissent soudainement pour réapparaître quelques minutes plus tard sans réelle explication car tout est affaire de chausse-trappes et de dissimulations.
Très éloigné du style de David Lynch, le résultat final peut toutefois s’y apparenter par sa volonté de perdre le spectateur, tout en retenant sans cesse son attention et en suscitant un nombre conséquent de questions dont la plupart demeureront sans réponses. A la fois ludique et inquiétant, Trap Street est donc un objet filmique insaisissable que les cinéphiles exigeants auraient tort de négliger.
Virgile Dumez